20 mars 2006

La veille endormie

Les états de sommeil profond, de rêve et veille sont de simples phénomènes qui apparaissent à la surface du Soi, qui lui-même est immobile et un état de pure conscience.
Peut-on même un instant demeurer hors du Soi ? Cette question ne pourrait se poser que si c’était possible.
- Ne dit-on pas souvent que l’on est plus proche de la pure conscience en sommeil profond qu’en état de veille ?
- La question pourrait aussi bien être : Suis-je plus proche de moi-même dans mon sommeil que dans mon état de veille ? Car le Soi est pure conscience. Personne ne peut être éloigné du Soi. La question ne peut se poser que s’il y a dualité. Mais il n’y a pas de dualité dans l’état de pure conscience.
C’est la même personne qui dort, rêve et se réveille. L’état de veille est considéré comme étant plein de choses belles et intéressantes. En l’absence de ces dernières, on dit que l’état de sommeil est ennuyeux.
Les perceptions participent de l’état dans lequel on se trouve, quel que soit cet état. Dans l’état de veille, le corps grossier perçoit les noms et les formes eux aussi grossiers ; dans l’état de rêve, le corps mental perçoit les créations mentales sous leurs multiples noms et formes ; dans l’état de sommeil profond, il n’y a plus d’identification avec le corps et donc pas de perceptions : de même, dans l’état transcendantal, l’identité avec le brahman met l’homme en harmonie avec toutes choses, et il n’y a rien qui soit séparé du Soi.
Avant d’aller plus loin, éclaircissons le point suivant : Admettez-vous que vous existez durant votre sommeil ?
- Oui, je l’admets.
- Et vous êtes la même personne qui est maintenant éveillée ? N’est-ce pas ?
- Oui
- Il y a donc une continuité dans les états de veille et de sommeil.
Quelle est cette continuité ?
C’est l’existence à l’état pur.
Pourtant, il y a une différence entre les deux états.
Quelle est cette différence ?
Les manifestations telles que le corps, le monde et les objets apparaissent en état de veille, mais elles disparaissent en sommeil profond.
- Mais je ne suis pas consciente dans mon sommeil.
- C’est vrai, dans le sommeil il n’y a pas la conscience du corps ou du monde. Mais vous devez bien exister dans votre sommeil pour pouvoir dire quand vous en sortez « je n’étais pas consciente dans mon sommeil »
Ces questions ne se posaient pas durant votre sommeil, n’est-il pas vrai ? Pourquoi ne se posaient-elles pas ? Parce que vous ne voyiez pas votre corps et que vous ne pensiez plus. Vous ne vous identifiiez pas à votre corps ; aussi, ces questions ne se posaient-elles pas. Elles reviennent maintenant à cause de votre identification au corps. N’est-ce pas ainsi ?
Qui tient ces propos maintenant ?
C’est la personne éveillée. Celle qui dort ne peut pas le dire.
Autrement dit, l’individu qui, maintenant, identifie le Soi au corps affirme qu’une telle conscience n’existe pas dans le sommeil.
Voyez maintenant quelle est votre nature véritable. Est-ce celle qui est libre de pensées ou celle qui est pleine de pensées ?
C’est parce que vous vous identifiez à votre corps que vous voyez le monde autour de vous et que vous dites que l’état de veille est plein de choses belles et intéressantes.
L’état de sommeil vous paraît ennuyeux parce que vous n’y étiez pas en tant qu’individu, et en conséquence, toutes ces belles choses n’existaient pas.
Mais quel est le fait indéniable ?
C’est qu’il y a la continuité d’être dans chacun des trois états (veille, rêve et sommeil profond), mais qu’il n’y a pas de continuité pour l’individu et les objets.
- Oui.
- Ce qui est continu est aussi durable, c’est permanent. Ce qui est discontinu est transitoire.
- Oui.
- Par conséquent, l’état d’être est permanent et le corps et le monde ne le sont pas. Ils sont des phénomènes fugitifs qui passent sur l’écran de la conscience d’être, laquelle est éternelle et immobile.
- Mais d’un point de vue relatif, l’état de sommeil n’est-il pas plus proche de la pure conscience que l’état de veille ?
- Oui, mais en ce sens que lorsqu’on passe du sommeil à la veille, la pensée « je » doit se manifester : le mental entre en jeu ; les pensées s’élèvent ; puis les fonctions du corps entrent en activité ; tout cela réuni nous fait dire que nous sommes éveillés. L’absence de tout ce processus est la caractéristique du sommeil et, en conséquence, le sommeil est plus proche de la pure conscience que la veille.
Mais on ne doit pas pour autant désirer rester toujours en état de sommeil. D’abord, parce que c’est impossible, le sommeil devant nécessairement alterner avec les autres états ; ensuite, parce que le sommeil ne peut pas être l’état de félicité, qui est celui du jnani (*), car cet état de félicité est permanent et sans alternance. De plus, l’état de sommeil n’est pas considéré comme un état de conscience, alors que le sage demeure toujours conscient. Voilà pourquoi l’état de sommeil diffère de l’état dans lequel le sage est établi.
A cela s’ajoute que l’état de sommeil est dépourvu de pensées et de l’effet qu’elles exercent sur l’individu. L’état de sommeil ne peut être modifié par la volonté de ce dernier, car l’effort est impossible dans cette condition. Bien que plus proche de la pure conscience, l’état de sommeil n’est pas propice aux efforts nécessaires pour réaliser le Soi.
Le désir de Réalisation ne peut naître qu’à l’état de veille ; de même que l’on ne peut faire des efforts que lorsqu’on est éveillé.
Nous savons que les pensées à l’état de veille font obstacle à la tranquillité du sommeil.
La tranquillité est le but du chercheur.
Même un seul effort pour apaiser une seule pensée, ne serait-ce qu’un seul instant, pénètre profondément jusqu’à atteindre l’état de tranquillité. L’effort pour réaliser le Soi est nécessaire et il n’est possible qu’à l’état de veille. S’il y a effort, il y a aussi conscience ; les pensées sont calmées ; la paix du sommeil est obtenue. C’est l’état du jnani. Ce n’est ni le sommeil ni la veille mais un état intermédiaire entre les deux. Il y a la conscience de l’état de veille et la tranquillité du sommeil. On peut l’appeler « sommeil éveillé » ou « veille endormie » ou « veille sans sommeil » ou « sommeil sans veille ». Il diffère du sommeil ou de la veille pris séparément. Il est au-delà de la veille et au-delà du sommeil et en même temps il est en eux.
Il est l’état combiné de conscience parfaite et de tranquillité parfaite.
Il est l’intervalle entre le sommeil et la veille et également l’intervalle entre deux pensées successives. Il est la source d’où s’élancent les pensées ; nous pouvons l’observer lorsque nous sortons du sommeil.
En d’autres termes, les pensées ont leur origine dans la tranquillité du sommeil. Ce sont elles qui font toute la différence entre la paix du sommeil et l’agitation de l’état de veille. Allez à la racine des pensées et vous atteindrez la tranquillité du sommeil. Mais vous ne pouvez l’atteindre qu’avec toute la vigueur de la recherche, c’est-à-dire avec une conscience parfaite.
C’est encore l’état de « sommeil éveillé » dont nous avons parlé auparavant. Il n’est pas ennui, mais il est Félicité ; il n’est pas transitoire, mais il est éternel. C’est de lui que procèdent les pensées. Que sont toutes nos expériences sinon des pensées ? Plaisir et souffrance ne sont que de simples pensées. Elles sont en nous. Si vous êtes libre de pensées tout en demeurant éveillé, vous êtes cet Etre parfait.
Le degré d’absence de pensées est la mesure de votre progrès vers la réalisation du Soi. Mais la réalisation elle-même n’admet pas de progrès ; elle est toujours la même. Le Soi reste toujours en état de réalisation. Les obstacles sont les pensées. Le progrès se mesure d’après le degré de déblaiement des obstacles qui empêchent de comprendre que le Soi est toujours réalisé. Les pensées doivent donc être contrôlées en cherchant à qui elles apparaissent. De cette manière vous allez à leur source, d’où elles ne s’élèvent plus.

Mais pour l’instant, l’état présent, celui de veille, n’est pas plus qu’un rêve. Et le rêve ne peut se dérouler que durant le sommeil. Le sommeil est donc à la base de ces trois états : tant que le Soi n’est pas réalisé, on n’est jamais qu’en sommeil.
Et la manifestation de ces trois états n’est encore qu’un rêve qui, à son tour, est un autre sommeil. Ainsi, ces états de rêves et de sommeil n’ont pas de fin.
Il en va de même de la naissance et de la mort qui sont, elles aussi, des rêves dans un sommeil. En vérité, il n’y a ni naissance ni mort.

La vérité vous a été enseignée. Les instructions vous ont été données. Cherchez qui vous êtes. Telle est toute l’instruction.




_________________
(*) jnanin : le sage qui a réalisé le Soi